Anticipation, science-fiction, merveilleux, fantastique, tout cela est bien souvent allègrement confondu dans l'étiquetage ordinairement apposé sur les productions récentes, cinématographiques essentiellement.


Projection "sociologique" dans un futur pas forcément lointain, l'anticipation envisage généralement un monde "déréglé" à la suite de tel ou fait historique, cataclysmique. Qu'il y ait ou non évolution technologique -ce peut être au contraire une régression-, l'essentiel est de montrer une humanité devenue autre, et ce bien souvent à des fins pédagogiques plus ou moins avouées.


La science-fiction, quelles qu'en soient les outrances inventives, reste dans un domaine où tout est, ou pourrait être, explicable par des lois physiques ou chimiques ; nous sommes dans un monde rationnel. C'est d'ailleurs un genre souvent prisé des scientifiques : tout y est soumis à une logique plutôt rigoureuse.


Dans le fantastique, au contraire, le rationnel est dépassé, et les esprits cartésiens ne sont pas à l'aise ; c'est une autre "réalité" qui s'impose, irrationnelle, marginalisée par le grand exorcisme scientiste : celle du Diable et du Bon Dieu, des revenants, des voyages métaphysiques et de toute une mythologie trop hâtivement rangée parmi les fables abêtissantes pour l'homme civilisé. Avec toujours l'interrogation ultime: avons-nous rêvé, est-ce bien vrai ?

Évidemment, rechercher une genèse à ce genre littéraire peut faire remonter très loin dans le temps. Dans ces conditions, tous les textes sacrés contiennent un grand nombre de passages qui pourraient relever du fantastique. Et naturellement les premiers romans noirs, "gothiques", anglais ne pourraient pour la plupart se construire sans référence à toute une imagerie judéo-chrétienne. Même si on peut considérer qu'il y a toujours eu du fantastique, depuis les débuts de la littérature, dans les textes qu'on appelle fondateurs -Bible, poèmes homériques... -, le genre en lui-même, clairement avoué sinon auto-identifié, semble n'apparaître qu'au XVIIIe  siècle.


Quant à l'acte de naissance et au nom du géniteur, c'est naturellement un sujet de controverse. Certains affirment que l'on doit rechercher en Allemagne l' "inventeur" du fantastique en tant que genre littéraire, et que cet heureux novateur ne serait autre que Goethe. Or la première œuvre de l'écrivain allemand qui puisse justifier cette prétention, Faust, n'a été ébauchée qu'en 1773, et la première partie de celle-ci ne fut publiée qu'en 1790.


A cette époque un vent de terreur soufflait déjà de Grande -Bretagne où, dès 1764, Horace Walpole avait fait paraître Le Château d'Otrante, récit d'imagination -alors que Goethe se contentait d'utiliser une légende- où se trouvaient réunis les principaux éléments du roman noir : mystère, insécurité, terreur, forces occultes. On peut donc aisément être enclin à laisser cette paternité à Walpole, et à considérer la Grande-Bretagne comme le pays littérairem ent le plus sulfureux de l'époque. Pourtant l'ouvrage de Walpole n'eut qu'un succès modeste, tant chez les critiques qu'auprès du public.

Un genre venait de naître ; encore lui fallait-il s'affirmer et sortir d'un certain anonymat. Pour cela, il faudra attendre Matthew Gregory Lewis. En 1795, âgé de vingt ans, il fait paraître son premier et meilleur roman -les autres tomberont dans l'oubli- : Ambrosio or the Monk (Le Moine). Aussitôt le livre est soumis aux attaques des censeurs. On interdit l'ouvrage comme licencieux. C'est dire que, devenu le principal objet d'indignation du Londres puritain, sa publicité était faite. L'interdit levé, on s'en arracha littéralement les exemplaires. Succès populaire, mais aussi succès dans les milieux littéraires. Chacun veut alors écrire son roman noir. Parmi de nombreuses œuvres d'inégale qualité littéraire, les plus marquants sont sans doute Les Mystères d 'Udolphe (1794), d'Ann Radcliffe, Frankenstein ou le Prométhée moderne (1818), de Mary Shelley -l'épouse du poète ami de Lord Byron- ou encore Melmoth, ou l'homme errant de l'Irlandais Charles Robert Mathurin.


En France, Jacques Cazotte avait publié dès 1772 Le Diable amoureux. Mais l'un des véritables importateurs du genre sera Honoré de Balzac qui, sous le pseudonyme de Horace de Saint Aubin, publie L'Elixir de longue vie en 1816 et se consacrera pendant un temps à ces sombres et étranges histoires, dont on retrouvera trace dans certaines de ces œuvres plus unanimement reconnues. L'auteur de Rocambole, Ponson du Terrail, livre en 1853 un intéressant récit, La Baronne trépassée -sa meilleure œuvre selon certains-, tandis qu'une foule de littérateurs plus ou moins doués fait paraître des œuvres dont l'hypothétique valeur ne résistera pas à l'épreuve dut temps. Dans les années 1830, Charles Nodier s'accaparera pratiquement le monopole du genre, avec un talent reconnu.


Outre Atlantique, pratiquement seul, Edgar Allan Poe, à partir de 1840, livre ses glaciales et morbides nouvelles qui trouveront comme on sait en Baudelaire un traducteur de génie.


Mais peut-on évoquer le fantastique sans s'intéresser un peu particulièrement à l'un de ses mythes emblématiques, celui du vampire. C'est à l'évidence le Dracula de Bram Stoker qui, à la fin du XIX e siècle, donne ses lettres de noblesse au personnage, même si, plus de dix ans auparavant, en 1871, Sheridan Le Fanu illustrait le thème du vampirisme féminin dans sa nouvelle Carmilla. A la différence d'une bonne partie du "bestiaire" fantastique -loup-garou, Golem, créature de Frankenstein-, le personnage du vampire, quel que soit son sexe, se signale par une grande beauté physique, renforcée par un magnétisme irrésistible et funeste. Cela explique sans doute que ces êtres soient sans conteste les plus populaires de cette faune crépusculaire.


Toute aussi ancienne est la croyance aux loups-garous. Des anecdotes au sujet de ces êtres terrifiants traînent dans d'anciens textes, à commencer par le Satiricon de Pétrone, auteur latin du 1er siècle ap. J.-C. Contrairement au vampire, le loup-garou est un être qui appartient toujours au monde des vivants. Les soirs de pleine lune, son corps s'étant couverts de poils, pleinement identifié à un loup, il erre à la recherche de proies animales ou humaines. Son exploitation littéraire semble ne pas avoir connu un engouement semblable à celui initié par le comte transylvanien. On peut pourtant citer, parmi les précurseurs, l'admirable Hughes-le-loup, d'Erckmann-Chatrian, où la lycanthropie trouve une illustration d'un romantisme noir dans le décor d'un impressionnant "burg" germanique. De nos jours, Claude Seignolle a donné dans ses recueils de nouvelles d'assez nombreuses et réussies interprétations de ce thème, par exemple dans Le Galoup, récit d'une chasse au loup-garou narrée d'un point de vue très particulier.


Naturellement, ce sont deux auteurs anglo-saxons qui de nos jours semblent représenter à eux seuls, pour le grand public, la littérature fantastique : Stephen King, adapté à de multiples reprises au cinéma (Carrie, La Ligne Verte…), et Ann Rice (Entretien avec un vampire). Leur succès les conduit à être abusivement dévalués sur le plan littéraire par une certaine critique, ce qui ne surprend guère mais agace toujours.

Si l’on ne doit citer que quelques noms, il est tout de même difficile d’omettre Clive Barker et ses Livres de Sang, parfaitement glauques et angoissants, ou Cabale, récit relativement court et bien adapté pour se faire une idée de cet auteur atypique.


Mais il ne faut pas oublier les auteurs francophones qui firent en grande partie le succès, dans les années 70, de la célèbre collection de poche Marabout Fantastique. Le plus emblématique fut sans doute Jean Ray, dont le roman Malpertuis fut adapté avec talent au cinéma par Harry Kümel. Gérard Prévôt, et dans une moindre mesure Thomas Owen, font partie des excellents souvenirs de lecture que savait susciter cette collection, dont les exemplaires ne se trouvent plus que sur les quais ou dans certaines librairies spécialisées.

De nos jours, deux auteurs me semblent particulièrement importants: Claude Seignolle et Georges-Olivier Châteaureynaud.